«Le 24 novembre, elle sera à tous mais tous ne l'auront pas.» Jeudi soir au Virgin Mégastore des Champs-Elysées à Paris, tout le monde avait bien inscrit dans le crâne la formule publicitaire de Sony. D'ailleurs, il valait mieux le laisser à la maison, son cerveau, au risque d'être saisi d'une furieuse envie de prendre le large ou de distribuer des gifles.
Offre limitée. 23 heures: le grand magasin qui a prolongé son ouverture jusqu'à une heure du matin pour franchir le cap du «jour J», a soigné la dramaturgie de l'événement. Dès l'entrée, d'immenses pancartes signalent l'arrivée sur le marché français de la Playstation 2. Au centre, un gigantesque champignon argenté recouvre ce qui doit être le lot contingenté de paquets bleu nuit. Autour, une barrière de gros bras tient les 3 000 personnes agglutinées à bonne distance, le tout baigné dans une musique de jeu de voitures et un light show de concert.
Selon la promo, 70 000 consoles sont mises sur le marché, dont 50 000 ont fait l'objet de réservations. Il ne reste donc que 20 000 PS2 disponibles, réparties dans l'ensemble des points de vente du pays. Sébastien, 25 ans: «Je suis inquiet, on m'a dit qu'il n'y en avait que cent. Je suis testeur de jeux et je suis devant mon écran dix à vingt heures par jour. Même par mon boulot je n'ai pas pu l'obtenir. Si je l'ai, je ne vais pas dormir. Si je ne l'ai pas, ce sera pire. J'ai envie de pleurer.» Les vendeurs jouent le jeu: «On ne sait vraiment pas combien il y en a, dit l'un d'eux. Sinon, on en aurait réservé pour nous.»
L'heure approche. Le monsieur Loyal du soir égraine les minutes, ravi, tandis qu'au bar VIP on descend les coupes de champagne. Dans l'arène, les rangs se resserrent: «On joue près de trois heures par jour, racontent David et Virginie, la vingtaine. C'est un coup de coeur, même s'il faudra attendre six mois pour qu'apparaissent de bons jeux. On l'attend depuis plus d'un an, et ce soir, on est bien décidé à l'avoir. On va se battre!» Sentant le vent tourner, les responsables informent qu'un deuxième point de vente sera ouvert à minuit au premier étage. Peu s'y risquent, de peur de laisser leur place chaude dans l'enceinte.
«Je me suis jeté». Minuit. La musique s'arrête pour que retentissent les coups de cloche d'AC/DC. Les malabars se donnent la main. Le champignon s'élève légèrement. Les paquets apparaissent, au pied d'une immense console en plastique. Soudain, c'est la panique: les gros bras valdinguent et l'essaim se rue sur le présentoir. On se marche dessus, certains atteignent le centre et lancent les consoles en l'air, d'autres se les arrachent. Quelques poings volent. La sécurité remet tout le monde à distance. «Je me suis jeté, raconte Amid, en transe. J'étais ensuite sous tout le monde et j'ai alors pu atteindre le tas. Ce soir c'est nuit blanche, jusqu'à demain midi!» «On s'est vraiment battus, exulte Eric, 32 ans, les cheveux dressés. J'ai réussi à en attraper deux, mais on m'en a pris une des mains. Mon paquet est défoncé. On attend depuis 21 heures, on est comme des boeufs et on paie 3 000 francs. C'est n'importe quoi.» La grande majorité est déçue: «On a attendu des heures pour rien, souffle Rémy. C'était assez violent, il n'y avait pas assez de consoles. Mais on reviendra.» D'autres ont eu plus de chance: «J'étais au premier étage et je n'étais pas vraiment là pour l'acheter, explique David, 23 ans. A minuit, un type du magasin est arrivé avec un chariot rempli de consoles. Il a trébuché devant moi, et un paquet est tombé. Je me suis baissé.»
A l'arrière du magasin, les pompiers évacuent cinq blessés légers. Juste à côté, des palettes garnies de consoles attendent d'être mises en rayon, quelques minutes avant la fermeture.